«Il est impératif de changer le message qui dit d’éviter les sorties et les voyages»
Photo: MySwitzerland
Ce dimanche 24 mai, trois membres du Conseil fédéral ont invité les associations faîtières du tourisme à un sommet de crise à Berne. Pour que cette branche s’en sorte face au coronavirus, les professionnels demandent un assouplissement des règles dès le 8 juin et une adaptation du message «stay at home» afin d’inciter les Suisse à voyager dans leur pays. Le Conseil fédéral se prononcera sur le sujet ce mercredi 27 mai.
En attendant, Martin Nydegger, directeur de Suisse Tourisme, répond à nos questions sur cette semaine cruciale pour sa branche.
Vous avez participé au deuxième sommet sur le tourisme. Le dernier avait eu lieu en avril...
Effectivement. La dernière fois nous avons beaucoup parlé de ce qui concerne la restauration. Cette fois-ci, nous nous sommes concentrés sur les services touristiques encore fermés, comme les remontées mécaniques et chemins de fer de montagne, les campings et les compagnies de navigation. Le Conseil fédéral nous a promis que nous ne serions pas déçus. Je suis confiant.
Quels sujets le Conseil fédéral n’a-t-il pas voulu aborder?
Il n’a pas voulu se prononcer sur notre demande d’autoriser les rassemblements jusqu’à 100 personnes. Nous attendons un assouplissement de ce côté. Il n’a pas non plus abordé l’adaptation de la distance de sécurité de deux mètres. Chaque pays a des règles différentes, comme pour la vitesse sur l’autoroute. Avec un mètre de distance, comme en Autriche, nous pourrions travailler d’une toute autre manière, surtout dans la restauration.
Quel était pour vous le point discuté le plus important?
Il est impératif de changer le message qui dit d’éviter à tout prix les sorties et les voyages. Alain Berset était, lui aussi, d’avis que le slogan «stay at home» n’est plus d’actualité. Les Suisses peuvent désormais voyager en Suisse en toute bonne conscience. Ce qui n’a pas changé ce sont les mesures de sécurité concernant l’hygiène et la distance de deux mètres.
Quel est donc le plan de Suisse Tourisme pour les semaines qui viennent?
Suisse Tourisme et ses partenaires touristiques ont reçu le 6 mai, suite à l’approbation du Parlement, chacun 20 millions de francs. Avec cette somme, nous devons contribuer en 2020 et 2021 à aider cette branche à sortir d’une grande difficulté économique en motivant les Suisses et les Suissesses à prendre leurs vacances en Suisse. Dès la réouverture des frontières le 15 juin, nous espérons également accueillir des touristes étrangers, et, dans un troisième temps, relancer le marché américain et asiatique.
C’est pour ça que vous avez lancé le label Clean&Safe…
Oui. Grâce à des sondages, nous avons constaté qu’il reste beaucoup d’incertitudes concernant les conditions d’une visite au restaurant, à l’hôtel ou les voyages en chemin de fer de montagne. Nous voulons soulager cette peur et dire à nos hôtes que des mesures de sécurité très strictes sont respectées, et qu’elles garantissent un risque minime de contagion.
Le but est de convaincre les Suisses de voyager en Suisse. Pouvons-nous compenser l’absence des touristes étrangers?
Atteindre des revenus normaux est impensable. Les Suisses composent 45% des touristes en Suisse. Même si on doublait du jour au lendemain le nombre de voyageurs suisses, cela ne suffirait pas. Le mélange des clientèles est important, les touristes étrangers visitent d’autres endroits que les habitants du pays. Ils aiment aussi voyager hors saison. En moyenne ils dépensent plus et se permettent un certain luxe.
Pouvons-nous nous attendre à des rabais pour attirer les Suisses?
Je pense que c’est le mauvais moment pour cela. Pour être honnête, le tourisme est à terre. Nous avons perdu 8,7 millards de francs de chiffre d’affaire juste de mars à juin. Les hôtels sont occupés de 3 à 15%, la branche est en activité partielle et a besoin de crédits. Le tourisme n’est constitué que de petites et moyennes entreprises. Nous avons besoin de solidarité, pas de demandes de rabais. Il faut consommer localement et remettre notre pays sur pied.
Quelle est votre stratégie?
Nous allons lancer la campagne «Nous avons besoin de Suisse». Nous voulons montrer qu’il faut être fidèle aux valeurs que nous aimons et qui nous sont familières. La Suisse, avec sa fiabilité, sa propreté et la beauté de sa nature, un pays au système politique stable, qui contribue à la sécurité nos existences, a plus que jamais besoin de nous.
Voyez-vous aussi un mauvais côté à ce message de cohésion?
D’une certaine façon, il y a un aspect dangereux, nationaliste, qui peut en résulter. Nous nous sentons à l’abri et savons que notre pays s’occupe de nous. Mais j’espère que ça ne durera pas. Nous sommes dans un monde ouvert et nous devons pouvoir faire confiance et voyager. Ne serait-ce qu’en discutant de la réouverture des frontières, on constate de la méfiance…
Justement, avec la réouverture des frontières, craignez-vous de perdre des touristes?
Je ne vois que de bons côtés à cette réouverture. Le succès du tourisme suisse ne se base pas sur des frontières fermées. Nous voulons que les Suisses apprécient d’aller en montagne par conviction et non par contrainte. Nous espérons qu’ils comprennent qu’en passant des vacances ici, ils soutiennent notre économie, celle qui a permis d’établir notre système social, qui nous a sauvés d’une énorme vague de licenciements.
Y aura-t-il des régions plus favorisées que d’autres dans vos campagnes publicitaires?
Pas dans nos campagnes, mais les régions qui ont toujours eu un haut taux de touristes suisses, comme les Grisons, par exemple, partent gagnantes cet été. C’est notre devoir de montrer aux Suisses et aux Suissesses que c’est l’occasion d’aller explorer de nouveaux horizons dans leur propre pays. Je me réjouis particulièrement de notre campagne pour «abolir» le Röstigraben. Nous voulons attirer les Romands et Romandes en Suisse allemande et romanche, et vice versa. Nous sommes privilégiés d’avoir différentes cultures et langues dans un même pays. Je constate toujours que beaucoup de Suisses et Suissesses n’ont encore jamais vu ni le Cervin, ni la Jungfrau. C’est l’occasion!
Les régions montagneuses semblent avoir l’occasion de se rétablir de la crise. Qu’en est-il des villes?
Je me fais beaucoup de soucis. Les villes sont de 60 à 80% dépendantes des déplacements professionnels. Ça prendra du temps pour que les gens soient prêts à passer des heures dans la même pièce pour une réunion. Trouver un moyen de remplir des milliers de lits d’hôtels vides est difficile. Pour l’instant nous avons eu l’idée de proposer aux couples d’en profiter pour faire un city-trip après ce temps de confinement. Mais soyons honnêtes, on n’ira pas loin avec ça. Avec les membres de notre direction, je voyagerai du 8 au 10 juin à Genève pour discuter de la marche à suivre et de la stratégie pour soutenir les villes le mieux possible.
Et vous, où allez-vous en vacances?
Comme chaque année je fais le tour d’un canton avec ma famille. Cette année ce sera le Valais, puis quelques jours au Tessin.