Un expert de l’ETHZ tire la sonnette d'alarme sur les conséquences du confinement
Depuis septembre 2019, je suis correspondante de Zurich pour Heidi.news, pour les newsletters «Le Point du jours», «Le Point Sciences» et le «Le Point Coronavirus».
Un extrait du Point Coronavirus du 24 avril 2020.
Bonjour, c’est Pauline à Zurich, où dès lundi un quotidien un peu plus normal reviendra petit à petit dans les hôpitaux. C’est un soulagement, mais aussi le début de nouvelles inquiétudes.
Pour ce Point Coronavirus, je vous invite à quitter le milieu des soins et faire un détour à l’ETH Zurich, où plutôt sur le lieu de télétravail d’un expert des risques entrepreneuriaux.
Le professeur Didier Sornette travaille depuis quatorze ans à l’école polytechnique fédérale de Zurich. Depuis le début de la pandémie, ce physicien d’origine, se dévoue à l’évolution de Covid-19 dans le monde entier. Ce Français publie régulièrement des rapports pour prédire le développement de l’épidémie.
«En ce moment je travaille, comme tout le monde, depuis mon domicile. L’ETH Zurich reste déserte. Avec mes collaborateurs en Ecosse, Belgique, Autriche, Russie, Chine et bien d’autres, nous communiquons en ligne pour rassembler les informations sur l’évolution de la pandémie actuelle. Nous y avons un accès direct par les gouvernements et institutions de santé des différents pays. Nous publions des rapports quotidiens utiles aux investisseurs et aux compagnies, pour avoir une idée des retombées sur les entreprises. Ces données sont très demandées dans le monde et particulièrement en Chine, où j’ai lancé l’année passée l’Institute of Risk Analysis, Prediction and Management à Shenzhen qui est le premier institut pilote entre l’ETH Zurich et une université chinoise.»
«Nous souhaitons offrir une source de données quantitatives – des faits rationnels. Dans la plupart des médias, c’est tout le contraire qu’on voit. La situation est dominée par l’émotion. La vie perdue d’un enfant dans cette situation pandémique attriste le monde entier, mais, sans un contexte médical correct, le drame mène à d’énormes aberrations et exagérations, ce qui justifie en partie des mesures extrêmes de confinement.»
«Un élément d’information qui manque souvent, c’est la comparaison avec d’autres maladies. La grippe asiatique de 1957 par exemple a causé environ 100’000 morts en France et a fait le tour de la planète en six mois. Les centaines de milliers de décès dus au cancer, à Alzheimer, au diabète ou aux accidents cardio-vasculaires sont aussi oubliés dans cette période de pandémie. Nous sommes obsédés par le Covid-19, son émergence et sa contagiosité. Il reste, en comparaison, beaucoup moins grave au vu des données actuelles. Notre estimation est qu’il tue entre 0.2% et 0.4% des personnes infectées et en majorité les personnes âgées et en comorbidité sévère. La difficulté avec ce coronavirus, c’est qu’il se propage extrêmement vite, ce qui provoque une saturation rapide des services hospitaliers et le fait qu’il n’y a pas encore de traitement. Notre impuissance, souvent due à un manque de préparation et aussi à l’absence de décisions courageuses et efficaces nous fait paniquer.»
«La situation actuelle est sans doute tragique, mais sur le plan scientifique, elle est aussi unique. Un choc mondial comme celui-ci nous permet de faire des expériences réelles. Le dernier cas comparable était le 11 septembre 2001. Là aussi la stratégie des politiciens était de l’exploiter pour leurs agendas politiques, et pour leur réélection, et beaucoup moins à se consacrer au bien être de leurs concitoyens. Attiser et exploiter la peur du peuple –face au terrorisme à l’époque et aujourd’hui face au coronavirus– aide à légitimer leurs actes. Trump l’exerce actuellement d’une manière très visible. En Europe et dans le monde, je crains dans le futur une accélération des pertes des libertés individuelles et un assujettissement à une tyrannie de la peur exploitée par des gouvernants et des groupes d’intérêts.»
«Il y a une question à se poser: est-ce que le coût potentiellement énorme par vie sauvée (décès évités) de cette pandémie dans différents pays justifie les politiques actuelles? Quand d’un autre côté, on pourrait sauver des milliers ou des millions de vies avec cet argent. On dit que la vie n’a pas de prix. Dans une société, ce n’est pas vrai car il faut arbitrer entre compromis pour sauver différents types de vies. Dans le cas du Covid-19, il faut aussi considérer que la moyenne d’âge des décédés est de plus de 80 ans. De l’autre côté, on détruit l’économie et des dizaines ou même des centaines de millions d’emplois, une perte qui ne sera peut-être pas réversible. Le strict confinement peut également avoir de graves conséquences en termes de maladies mentales et de négligence d’autres pathologies. La rupture des chaînes d’approvisionnement menace de famines aux ‘proportions bibliques’, selon un récent rapport des Nations-Unies.»
«C’est la première fois que la santé du peuple passe devant les intérêts économiques. Mais est-ce bien pensé? Une société ne peut pas sauver chaque vie, elle doit faire des choix raisonnables. Ça demande des calculs intelligents qui arbitrent et s’équilibrent entre les considérations médicales, sociales, économiques, d’équité et inter-générationnelles. A mon avis, on ne s’est focalisé que sur les considérations médicales à courte vue.»
Des nouvelles des hôpitaux zurichois
A partir de lundi, les consultations et les opérations à l’hôpital universitaire de Zurich (USZ) et à l’hôpital Triemli reprendront peu à peu leur cours. A l’USZ, le container qui avait été construit uniquement pour les patients infectés par le nouveau coronavirus a été fermé mardi. «Les urgences normales couvrent désormais les patients habituels ainsi que ceux touchés par Covid-19. Bien sûr en respectant toujours les mesures de sécurité. Nous continuons avec l’interdiction de visites et chaque personne rentrant aux urgences reçoit un masque. Il est important de s’y tenir pour éviter tout risque», raconte la cheffe des urgences Dagmar Keller.
Une infirmière de l’hôpital Triemli, qui travaillait en renfort aux soins intensifs, retournera dans son unité habituelle lundi. «Deux grandes opérations sont déjà planifiées pour la fin de la semaine prochaine», nous confie-t-elle sous couvert d’anonymat (nom connu de la rédaction).
A la station corona de l’hôpital Triemli, une infirmière, aussi couverte par l’anonymat (nom connu de la rédaction), est soulagée que la grande vague ne soit jamais arrivée. «J’ai l’impression qu’on est de retour au début de la crise, mais en sens inverse. Tout l’hôpital doit se réorganiser, c’est le chaos. Et l’incertitude refait surface. Est-ce trop tôt de baisser sa garde?»